La Voix du Client aux origines d’un nouveau contrat social

Une tribune de Philippe GUIHENEUC, Directeur Marketing AKIO

Face à un désengagement croissant des salariés, la Voix du Client constitue un moyen efficace pour élaborer une vision claire, juste et pertinente du projet d’entreprise, visant à renouveler la mobilisation de tous les collaborateurs.

Sans doute avez-vous déjà entendu parler du « quiet quitting », phénomène social inquiétant qui décrit une propension croissante des employés à en faire le moins possible tout en restant dans le cadre de leur contrat de travail. Selon le cabinet Gallup, 94% des actifs ne se sentent pas concernés par leurs tâches quotidiennes, dont 25% qui se disent totalement désengagés. Quand on les interroge, ces « démissionnaires silencieux » affirment ne plus venir travailler que pour l’argent.

Dans le même temps, l’expression « quête de sens » n’a jamais été aussi employée. 92% des employés déclarent chercher du sens dans ce qu’ils font. En somme, l’entreprise ne semble pas ou plus en mesure de donner envie ou de faire rêver ses collaborateurs. Avec pour corollaire une démobilisation destructrice de valeur. Depuis 2020, la productivité ne cesse de baisser en France – moins 3 % au troisième trimestre 2022 par rapport à 2019 selon une étude de la Dares, l’institut de statistique du ministère du Travail.

VOIX DU CLIENT

Une quête de sens

Pour savoir comment remédier au désengagement des salariés, il faut d’abord comprendre ce qui les anime. Et pour cela, remonter aux sources du contrat social au XIXe siècle. Le contrat social, c’est un deal qui associe deux forces complémentaires (capital et travail) pour produire de la valeur. La richesse ainsi libérée est distribuée aux deux parties. Au capital, les profits ; au travail, le confort. C’est ainsi que, depuis deux siècles, les salariés ont vu leurs conditions de vie s’améliorer dans tous les domaines. En contrepartie de leur engagement dans l’entreprise, ils ont bénéficié d’un système de santé de plus en plus efficace, d’une protection sociale, d’outils de communication facilitant les échanges et les divertissements, de jours de congés… Ce contrat, nous disent Weber et Durkheim, les pères fondateurs de la sociologie, constitue le socle du monde dans lequel nous vivons, un pays de cocagne où tout est accessible aujourd’hui en un clic.

Mais dans Le Suicide, Durkheim avait aussi prédit aussi la lente usure de ce modèle. Quand tout est facile, plus rien n’a de sens. Nous en sommes au stade où les besoins physiologiques et de sécurité, les deux premiers étages de la pyramide de Maslow, sont couverts. Naturellement, nous nous tournons alors vers les étages du dessus : les besoins d’appartenance et d’estime. Il ne suffit plus de vivre confortablement, de « gagner de l’argent » comme le disent les quiet quitters. Il faut aussi trouver une communauté avec laquelle on partage un style de vie, une certaine vision des choses et du monde.

Or, il se trouve que l’entreprise devrait être le lieu idéal pour donner du sens à sa vie. Une entreprise constitue, par définition, une action collective qui poursuit un objectif précis – actions et objectifs qui figurent d’ailleurs en toutes lettres dans le pacte d’associés. Le hic, c’est que les entreprises sont rarement conscientes de cette situation. Les dirigeants ne perçoivent pas toujours à quel point il est vital que leur vision soit partagée avec l’ensemble des collaborateurs. Dans la plupart des sociétés, la vision n’est qu’imparfaitement et partiellement diffusée. Faute de sens précis à l’action, la Communication produit des allégations auxquelles personne ne croit ou n’adhère vraiment. « Nous mettons l’humain au centre de nos actions », « L’éco-responsabilité est au cœur de notre stratégie », « L’inclusion, notre combat de tous les jours », des affirmations gratuites, sans preuve et sans cohérence avec le projet d’entreprise.

Donner du sens à l’action de l’entreprise, c’est donc d’abord définir sa vision du monde, puis l’expliquer pour que chaque collaborateur s’y retrouve et y adhère dans un sentiment d’appartenance et d’estime de soi assumés.

Comment définit-on une vision ? C’est la rencontre entre un besoin (du marché) et une personnalité (de l’entreprise). Le marché a des milliers de besoins non couverts, mais un seul correspond parfaitement au savoir-faire, au caractère et à l’ADN de la société – à sa personnalité.

Nike ne vend pas des articles de sport. Si Nike a connu un extraordinaire succès, c’est parce que ses dirigeants ont compris que les jeunes, face à des perspectives d’avenir limitées, avaient besoin de prouver leur valeur, et pas seulement en ramenant de bonnes notes à la maison. Just do it, dépasse-toi ! Et compte sur Nike pour t’aider grâce à sa capacité d’innovation (comme Nike Air) qui peut t’accompagner dans tes rêves les plus fous, y compris sauter aussi haut que Michael Jordan.

Mercédès ne vend pas des voitures mais du confort, rencontre entre un besoin ressenti par les cadres dynamiques après leurs épuisantes journées de travail, et un exceptionnel savoir-faire dans la finition qui distingue la marque de Stuttgart de toutes ses concurrentes. Lego ne vend pas des jeux pour enfants mais tout un univers de création, Apple ne vend pas des ordinateurs mais un sentiment d’appartenance à une communauté de créatifs non-alignés.

Autant de visions claires aboutissant à des succès sans ambiguïté.

La Voix du Client, un outil stratégique

Reste qu’élaborer une vision est un travail à la fois simple et complexe, parce qu’il faut trouver un point de rencontre entre la personnalité de l’entreprise et le besoin profond du marché. La personnalité est question de savoir-faire, de compétences distinctives, mais aussi de valeurs. Pas de celles qu’on affiche pour se faire plaisir, mais des valeurs effectivement partagées par les collaborateurs, qui distinguent l’entreprise de toutes les autres. Afficher ces valeurs, c’est aussi assumer des responsabilités. Si la société affirme qu’elle privilégie la bienveillance, elle ne peut pas licencier un collaborateur sans faire preuve de respect ni sans s’assurer de son avenir, au moins à court terme. La personnalité d’une organisation relève des Ressources Humaines, d’autres que moi sauront mieux en parler.

En revanche, je peux évoquer la façon dont on identifie le besoin profond, celui qui va guider les prochaines décisions stratégiques de l’entreprise au cours des prochaines années. Pour cela, il « suffit » d’écouter les clients.

Tous les dirigeants sont convaincus de connaître leurs clients. Mais identifier un besoin profond, c’est autre chose. C’est l’un des objectifs poursuivis par la Voix du Client. La Voix du Client (ou Voice of Customer, VoC) est un ensemble de techniques consistant à utiliser les nouvelles technologies, notamment les intelligences artificielles de type deep learning, pour analyser les conversations entre les clients et la marque et ainsi améliorer la Connaissance Client. Il ne s’agit pas seulement de remonter des données statistiques issues de questionnaires de satisfaction plus ou moins biaisés, mais d’écouter les clients s’exprimer librement, en langage naturel, sur les réseaux sociaux, dans leurs discussions avec les commerciaux et les agents des services clients, et d’analyser leur parcours web.

Vous avez tous entendu parler de ChatGPT et des autres assistants virtuels, capables de soutenir une conversation de quelques minutes, de créer une œuvre d’art primée dans un concours ou d’écrire un article de fond sur n’importe quel sujet. Akio Insights, l’une des offres de l’entreprise dans laquelle je travaille, sait identifier les thèmes abordés par un client dans sa conversation avec un conseiller de clientèle, ainsi que son sentiment et ses émotions pour chaque thème. Tous ces logiciels utilisent les mêmes technologies d’analyse sémantique en mode inductif, c’est-à-dire qu’ils savent repérer, dans un océan de données, des fils ténus qui relient certaines d’entre elles. Ils savent détecter des signaux faibles, comme par exemple une tendance sociétale encore enfouie qui émergera de façon spectaculaire dans plusieurs mois.

Bien sûr, la Voix du Client demande du temps, de l’énergie et des moyens. Mais les résultats obtenus constituent de puissants leviers de transformation. Rien ne « parle » davantage qu’un verbatim d’un client mécontent. La Voix du Client anticipe sur les besoins à venir, identifie les irritants en temps réel, alimente les différents métiers de l’entreprise avec des informations justes et contextuelles. Elle permet surtout d’isoler le besoin profond sur lequel votre entreprise va pouvoir s’appuyer au cours des prochaines années. De l’isoler, et de prouver son existence, avec des mots précis tirés de l’expérience réelle vécue par les clients.

Des mots qui deviendront ensuite le leitmotiv de votre organisation.

Parce que donner du sens, c’est trouver un moyen de répondre à une attente, un moyen de se rendre utile. Et constater que ça marche, que le public achète, qu’il adhère à cette vision et qu’il en redemande. C’est se dire, chaque matin quand on se lève pour aller travailler : « Je fais partie d’une aventure collective qui apporte du sens à la marche du monde. »