La quête de sens… Une des expressions les plus utilisées dans Google, par les artistes, les politiques, les communicants, les journalistes, et bien sûr les philosophes comme Vincent Cespedes, le 8 octobre dernier à l’occasion de la remise des Palmes de l’AFRC. Une expression qui décrit l’angoisse existentielle d’une société où tout semble aller trop vite – une société sans repère au sein de laquelle les publics se défient des institutions et les consommateurs, des marques. Les signes de cet affaiblissement ? On les lit chaque jour sur les réseaux sociaux, on les entend dans la rue et dans tous les médias : « Les entreprises nous trompent », « C’est que du marketing », « No logo ! » pour reprendre le mot d’ordre du best-seller mondial de Naomi Klein.
Et cette défiance s‘amplifie au gré des crises qui agitent notre société : crises alimentaires, environnementales, financières, industrielles, énergétiques… Voyez l’ampleur des réactions après les scandales Nike au début des années 90 (conditions de travail) ou BP en 2010 (pollution Deepwater Horizon), voyez ce qu’il reste de Spanghero après l’affaire de la viande de cheval, ou d’Arthur Andersen après le scandale Enron. Car la valeur des entreprises dépend directement de la confiance que les consommateurs placent dans leurs marques. C’est ce que montre l’indice ACSI, chaque année, avec une régularité d’horloge. Plus le client est confiant dans la marque, plus sa valeur boursière augmente… L’effet est mécanique.
Renouer avec la confiance des consommateurs, voilà donc le grand défi. Mais comment ? Et quel rôle pour la direction de la relation client, évidemment en première ligne, et plus encore maintenant que les consommateurs peuvent se plaindre sur plusieurs canaux à la fois ? Comprenez bien, ce n’est pas qu’une question de rhétorique. Demandez aux conseillers de clientèle ce qu’ils ressentent quand ils ont en face d’eux des interlocuteurs qu’ils sentent méfiants avant même d’avoir pu prononcer un mot. Comment chasser le doute ?
Pour combattre un mal, il faut remonter à sa racine. Ce qui nous amène… au début du XXe siècle et aux travaux prophétiques d’un sociologue français, Emile Durkheim. Surpris que le taux de suicide soit supérieur dans les nations industrielles à la moyenne mondiale, il émet l’hypothèse que nos sociétés sont construites sur un processus fondamental, la rationalisation, qui présente des avantages certains mais qui est au cœur d’une perte de sens. La rationalisation consiste à chercher, par des procédés déployables à grande échelle, à produire plus et plus vite au moindre coût. Et ça marche : la rationalisation est à la base de l’augmentation de la productivité dans les usines (mécanisation, taylorisme), d’une plus grande efficience de la recherche scientifique (d’où des découvertes essentielles pour la santé, par exemple), de l’optimisation des moyens de transports (aboutissant à la possibilité de voyager plus loin et plus longtemps), mais aussi de l’industrialisation de la production agricole, de l’automatisation des tâches répétitives dans les bureaux… Bref, elle a généré prospérité et confort. Mais, constate Durkheim, chaque médaille a son revers. Car certes nous disposons de supermarchés bien remplis, mais qui n’a pas déprimé devant des rayons où s’empilent produits industriels, fruits durs comme du bois ou vêtements coupés au carré ? Nous pouvons être satisfaits de voir nos besoins primordiaux comblés (correspondant au bas de la pyramide de Mazlow : alimentation, sécurité), mais nous aspirons à plus. Nous ne voulons plus être une cible dans un segment marketing ou un numéro de billet dans un train. Ce sentiment de désenchantement, que Max Weber (autre père fondateur de la sociologie) évoquait déjà quelques années plus tôt, Durkheim l’appelle la « foule solitaire ». Qui ne s’est pas interrogé sur la futilité du monde en empruntant les couloirs du métro aux heures de pointe ? Ce que nous voulons, désormais, c’est être considérés comme des humains, par des humains.
Application au monde de l’entreprise : qu’attendent les consommateurs ? De bons produits, d’accord, un service de qualité, ok. Mais aussi ce petit plus qui fait toute la différence entre un service client « rationnalisé » et une expérience client inoubliable : un contact chaleureux et bienveillant. Un contact qui permette de répondre aux étages suivants de la pyramide des besoins : sentiment d’appartenance (à la communauté de la marque), et d’estime, celle qu’on accorde, par respect, à son interlocuteur. Ce que Bill Price et David Jaffe détaillent en 7 points dans leur ouvrage Your Customer Rules ! :
- Vous me connaissez
- Vous m’offrez des choix
- Vous me facilitez la vie
- Vous me valorisez
- Vous me faites confiance
- Vous me surprenez
- Vous me permettez de me surpasser
… qui sont autant d’occasions de redonner du sens à la relation client. A titre d’exemple, la meilleure expérience client aux USA en 2018 est, selon l’ACSI, celle de Chick-fil-A, une chaîne de restaurants rapides, en raison, je cite, « Du professionnalisme et de la courtoisie de l’ensemble du personnel ». A noter que la dimension humaine n’exclut pas l’utilisation de l’intelligence artificielle : pour que le conseiller puisse prendre le temps de soigner le problème particulier d’un client, il faut lui libérer du temps pour le traitement des cas les moins complexes.
C’est l’histoire d’un nouveau contrat social entre la marque et ses publics, une aventure humaine dont le conseiller de clientèle est le héros, un héros augmenté par les nouvelles technologies.